« Cortot, avec qui je dînais l’autre jour, m’a raconté une histoire extraordinaire. En 1918, quand Debussy est mort, on a voulu faire une soirée pour Debussy. Cortot est allé voir Madame Debussy, qui était avec sa petite fille, qui avait huit ans. Cortot a demandé à Madame Debussy d’écouter l’interprétation qu’il allait donner des Préludes. Et il a joué sur le piano de Debussy. Madame Debussy était dans un état épouvantable, elle pleurait; son émotion était effrayante. Cortot se tourne vers la petite fille qui était assez calme et lui demande : « Est-ce ainsi que ton père jouait? – Non, non, ce n’est pas comme ça. – Ah! Pourquoi? – Parce que lui, il écoutait plus. » L’instrumentiste qui essaie de faire passer dans la musique tout ce qu’il éprouve lui-même, c’est proprement l’art du dilettante, celui qui veut se vider dans le texte, alors qu’il y a une musique qui existe objectivement. Debussy n’interprétait pas comme ça, il entendait plus. Il faut entendre respectueusement pendant qu’on joue. C’est ce que doit faire l’acteur. »
Louis Jouvet, Tragédie classique et théâtre du XIXe siècle