Je reçois, en réaction à mon dernier post, rédigé dans la perspective de saluer le maître en ironie que fut Sollers et avec cette indication qu’il suit la transcription et la mise en ligne de vers graves, beaux et terribles d’Yves Bonnefoy, ces lambeaux indignés de D. M., une (ex-)abonnée :
« Voici la nouvelle prière des filles conçues artificiellement par amour : « Je te salue, mère n°1, et toi aussi, mère …
Quelle honte, ce message. Puisque vous vous faites le complice des prédateurs et des violeurs, je vais illico quitter votre liste. Elle a bon dos l’ironie. DM
>
En guise de réponse (sérénissime) à une mise en cause malheureusement prévisible, je crois utile et courtois de préciser certains points, que l’on comprenait autrefois sans difficulté. Ni sans l’obligation de mettre un nez rouge sur le sien à chaque changement de registre :
Chère Madame,
Je crains que vous n’ayez pas lu cette triade de citations comme Sollers précisément aurait souhaité qu’on les lise, c’est-à-dire avec minutie et discernement, mais aussi avec la distance que suppose l’ironie – soit, le jeu. Soit, la littérature.
Supposer que Philippe Sollers ou moi-même cautionnons le viol, est bien mal nous connaître, l’un et l’autre. Si vous lisiez les mots, tous les mots, et que, dans la suite de leur logique ironique, certes, vous alliez au bout du raisonnement réel, vous constateriez sans peine que ce qu’il dénonce dans son roman, ce sont les excès liés à la vague « Balance ton porc! ». Passer de cas individuels, toujours tragiques, à une supposée généralité universelle sensationnaliste mais assassine, de même qu’user lâchement des réseaux sous le couvert de pseudos, ce dont j’ai personnellement été victime, pour condamner en bloc tous les hommes, tous violeurs, n’est-ce pas là le grand danger?
De même, croyez-vous que nier le sexe d’un être qui naît (soit une réalité biologique et génétique indéniable) au profit d’un genre (qui ne demeure guère qu’une théorie ne faisant fureur que dans le monde occidental), ne représente pas un très grave danger à l’heure, en outre, où la technologie médicale (payante et coûteuse) rend possible des PMA douteuses, ou des transitions que les uns ou les autres parmi ceux qui ont été au bout de ce tropisme « trop en vogue » (au point qu’on en donne aujourd’hui le désir à des enfants dès l’école primaire), regrettent parfois plus tard leur décision sans espoir de retour? Les hormones, les phéromones, le génome spécifiques aux hommes et aux femmes, ne pèsent-ils pas plus lourd que toutes les sottises dangereuses que prône la culture soi-disant wokiste? Niez-vous, comme cette dernière, que les enfants naissent sans sexe et que le sexe lui-même n’existe pas. Pensez-vous que l’on ne naît pas fille ou garçon? Et qu’en outre il est devenu fasciste de le considérer encore?
Vous êtes-vous déjà vraiment posé ces questions?
Sollers, disparu depuis le 5 courant, et votre serviteur ne vous invitaient qu’à penser. Tabou devenu absolu dans nos sociétés où il convient que, tous, nous ronronnions de façon synchrone, sans jamais produire de son discordant.
Jamais je ne hurlerai avec les loups avant d’avoir suspendu mon jugement le temps nécessaire à ce que mature la pensée.
Il semble que ce ne soit pas votre cas. Je le regrette, mais qu’y puis-je? Vous vous désabonnez de mon site (sans argument qui tienne) : bel acte de courage et qui doit vous coûter, assurément.
Vous êtes, tout comme moi, tout comme Sollers, contre les violeurs et contre toutes les formes d’abus dont sont victimes les femmes. Fort bien, je vous invite à entraîner tous vos amis wokistes à venir manifester pour la liberté et l’égalité des femmes avec les hommes dans certains quartiers de Molenbeek, d’Anderlecht ou de Saint-Josse. Nous ne serions que très, très peu nombreux à l’oser, je le crains. Là résident le problème, les mensonges et la lâcheté. Autrefois, l’on se félicitait que les écrivains fussent là pour demeurer des consciences morales. À présent, on applaudit à la médiocrité des perroquets de service qui n’ont de cesse de remuer et d’amplifier la nauséabonde rumeur ambiante. Ce ne sera jamais mon cas.
À vrai dire, chère Madame, j’ignore si nous nous connaissons ou pas, mais, si vous avez rejoint mon site, à un moment, c’est que vous y trouviez votre compte. Gratuitement. Je ne force personne à me lire et encore moins à m’emboîter le pas. Je m’efforce de transmettre et de stimuler l’intelligence dans un monde où il est devenu interdit de le faire publiquement. Vous m’écrivez sous le coup de l’émotion, je vous réponds de manière courtoise.
Cessez donc, je vous en prie, de vous tromper de cible, et de jouer à l’effarouchée qui refuse de passer le cap du premier degré. Je veux croire que vous en êtes capable.
Bien à vous,
Christophe Van Rossom
Point final à la conversation? Prise de conscience et grand revirement? Que nenni! Nous voilà replongés dans une suite pressée, nerveuse, redondante, agressive, insultante de déclarations qui, à nouveau, manquent singulièrement de fond. Il n’y pas de doute : nous sommes bien en 2023. – Je laisse bien entendu à chacun le soin d’en juger.
Monsieur,
Inutile de vous étendre par de fallacieux (et parfois obscurs) raisonnements.
On sait très bien que Sollers a cautionné, entre autre, un certain Madzneff, sans doute ce que vous appelez émettre un « son discordant ».
Par ailleurs, je n’ai pas d’amis wokistes, je pense par moi-même, je lis, j’écoute.
Et votre argument minable sur certains quartiers belges vise sans doute à me faire passer pour une « islamo-gauchiste ». Raté, là aussi.
Et je répondais à votre billet non « sous le coup de l’émotion », mais en tant que lectrice qui sait lire.
Je le redis : elle a bon dos, l’ironie.
Sollers écrit : « Quel cirque, quel zoo, quel rézoo! La nouvelle religion est proclamée au nom de nous-toutes. Comment échapper à l’Église Nous-Toutes? ».
Dans sa dernière interview à l’Obs, il rappelait son hostilité au mouvement qui a donné la parole aux victimes des violeurs.
Tout me suffit et vos sophismes n’y peuvent rien.
Inutile de poursuivre cet échange.
DM
Comme l’on m’a appris, très tôt, que tout courrier méritait une réponse, même si son rédacteur ne la souhaite pas, je me suis senti tenu de faire taire mon arthrose pour reprendre une dernière fois le clavier. J’ajoute que je porte ceci à la connaissance publique, afin de ne pas être contraint de me répéter à la réception de tous les mails assurés de porter la bannière du bon camp, lesquels se feront jour encore, je n’en doute nullement.
Mais ce n’était pas un échange, Madame, seulement la tentative d’en instaurer un. Vous le refusez sans argument, à nouveau, clamant avec virulence que vous savez tout, et que vous avez lu et pris le temps de la réflexion : pendant combien de minutes, au juste? Je vous remercie en tout cas pour vos pétitions de principe et vos affirmations gorgées d’ignorances diverses. Car c’est autant moi-même que Sollers que vous mettez en cause dans la confusion la plus totale. Or, que savez-vous de moi, si vous croyez par ailleurs tout savoir de lui? D’où ce constat, aussi, de plus en plus courant : l’on confond l’homme et l’auteur, l’auteur et ses personnages, ou alors on se plaît à résumer ce dernier à un fait ou à un livre, sans doute contestables du reste. Un peu d’esprit de finesse, un peu de nuance, un peu de tenue, je vous en prie.
Cette dernière question, enfin, (je n’ai en effet pas la chance de posséder vos certitudes péremptoires : je préfère interroger quant à moi) à vous, qui vous déclarez immarcescible (Sollers avait donc bien vu juste sur un point au moins) : avez-vous lu la citation grave, belle et terrible, du grand poète Yves Bonnefoy, dont j’eus l’immense chance de devenir l’un des amis (ce qui ne fut pas le cas avec Sollers, dont je ne crois pas cautionner, tant s’en faut, tous les choix ni toutes les déclarations : constatez par vous-même sur mon site)? Croyez-vous que ce soit par hasard que, sortant d’une longue période de silence, j’aie transmis ces citations le même jour, alors que j’écris de moins en moins, notamment en raison de la mauvaise foi de personnes telles que vous, promptes à condamner, juger coupable, pour enfin décapiter. C’est donc bien la mort de toute vraie littérature, laquelle ne s’est jamais complue dans la tiédeur boueuse des étangs de la bien-pensance perpétuelle et du politiquement correct de mise.
Ne voyez-vous pas à quel point ils disent, ces vers de Bonnefoy, avec une toute autre altitude, évidemment, une même inquiétude quant à l’effondrement de la grande pensée occidentale comme du rapport à la beauté ou à l’exigence de sens?
Fallacieusement vôtre,
Christophe Van Rossom
Cinq ans déjà sans Jacques Cels…
28 février 2022 par Christophe Van Rossom
Tout le prédisposait à devenir un rare. Comme Michel de Montaigne, sa figure tutélaire par excellence, Jacques eut le privilège de naître un 29 février, de sorte que, quoi que l’on fît, il était quatre fois plus jeune que nous. Importance de l’enfant, puis de l’adolescent, qui médite et se construit très tôt dans son oeuvre. En témoigne la première nouvelle des Îles secrètes, subtil ensemble, remarquablement architecturé autour d’un phare, et qui esquisse des destins, des décisions qui orientent le tout de nos vies, à chaque âge de cette vie. J’invite d’ailleurs les vrais amis de Jacques, les fins lecteurs, à lire à voix haute, en parfait écho à la première nouvelle, le récit qui clôt le volume, lequel se construit par vagues et petits châteaux de sable, sans cesse élevés, sans cesse détruits, sans cesse recommencés, sans cesse affinés, pour en arriver, dans ce tuilage de phrases ivres mais absolument lucides, presque infini, à transmettre peut-être ce qui constitue l’essentiel d’une vie. Je doute qu’ils y parviennent sans que des larmes leur montent aux yeux ou au coeur. Nous avons du mal à enregistrer les héritages lorsqu’ils ne sont précédés d’aucun testament.
Formuler, c’est clarifier. Se formuler (c’est-à-dire comme Montaigne, essayer d’y parvenir), c’est se placer à suffisante distance pour que, du sujet que l’on est, nous nous transformions peu à peu en un objet – quant à lui scrutable, explorable, questionnable.
Jacques n’a cessé de lire. Soit, aussi bien, d’écrire. L’un étant l’avers de l’autre. Travaillant sur une oeuvre littéraire, la présentant en classe, il s’interrogeait sur lui-même. Derrière les masques dont joue le romancier ou le dramaturge, le créateur façonne des voix et des façons d’être ou de penser, toutes disparates, semble-t-il, mais qui nous offrent cependant l’opportunité de chercher la voix propre de l’oeuvre, la voix de l’écrivain. Double postulation du lettré qui manie aussi la plume.
La voix, le chemin. Jusqu’au dernier. – Comprenne qui pourra.
Jacques aimait les jardins, la lumière des saisons, l’encre bleue, la pensée claire. Quatre cents ans après Montaigne, il prisait comme lui les livres de Sénèque, car cet idéaliste (au sens néo-platonicien du terme) s’efforçait aussi, notamment en l’enseignant, à élaborer, pour lui-même, une citadelle intérieure, digne de l’édifice mental projeté par Marc Aurèle. Équanimité impossible, mais fiévreusement désirée ; sens aigu de la gratitude envers les maîtres ; méditation sur l’homme au sein du cosmos ; du tout que l’empereur paraissait être et du rien si promptement voué à l’oubli qu’il était mêmement. Que faire du pouvoir? L’exercer avec justice. Justice du jugement, justesse de sa formulation. Que faire du savoir? En rendre le clair accès au plus grand nombre, si on en a la possibilité, ne jamais le brader, et a minima toujours s’efforcer de le transmettre autour de soi, en prouvant que celui qui sait va toujours en jouissant mieux de la beauté et, cependant qu’à défaut de les conjurer, il est en mesure de nommer précisément les désastres, parce que, très profondément, il les a mis en perspective, non moins qu’il en a vécu, et à ce titre, se trouve en situation de les analyser et de les commenter. Avec justice et justesse.
L’air du temps n’est plus à l’humanisme véritable, et encore moins à l’humanitas, dont Aulu-Gelle déjà se faisait loi de redéfinir le sens chaque fois que nécessaire. Il s’agit même, pour tout dire, de détruire, d’abolir, d’annuler. Et d’aller évidemment à ces racines du mal que furent l’art, les pensées, les livres et l’art de vivre des Grecs et des Romains. Qu’il s’agit de travestir afin de les écarter aussitôt que possible! Oui, quelle horreur que ce passé nauséabond et criminel dont il y a lieu de se repentir, alors que l’immédiat de la révolte qui met à bat les statues, censure à tours de bras, nie la biologie, se vautre dans le révisionnisme de l’Histoire autant que dans la négation du réel, non sans réinventer le racisme, en passant, est si bon et si juste! Ah! qu’il est doux, « éternel présent » (Orwell), de valser avec vous!
Je suis heureux que Jacques n’ait pas connu notre époque qui signe l’acte de décès de la civilisation, évacuant le meilleur de ce que les Rares nous ont offert en même temps que le pire dont les hommes furent et sont toujours capables, surtout lorsqu’ils se sentent investis par une mission, l’esprit tout ébouillanté par quelques slogans faciles et d’autant plus pernicieux.
Ne sachant plus écrire, je lis et relis avec un bonheur réel le « Vers Soi-Même » de Marc Aurèle, ouvrant volontiers le volume au Livre VII, qui dessine l’aire de ce qu’est le Mal, aux yeux du philosophe rhéteur, et conséquemment l’espace que revêt ce qu’il estime être le Bien. Je m’éduque, je me rééduque à vivre. J’y travaille sans relâche, et cela, d’autant plus que le plus ancien parmi mes grands maîtres m’a enseigné cette exigence, laquelle sculpte ce que quelques-uns savent encore être la Dignité. J’avais quatorze ans, puis bientôt quinze. Nonobstant, j’ai très vite pris conscience que cet homme allait bouleverser tous mes projets, exercer mon regard critique, et, faisant en sorte que j’épouse ma nature véritable, me diriger sur les chemins qui m’apprendraient moi-même à devenir homme et professeur.
Tout fascine dans le Livre VII des Pensées. Le Lisant, relisant le volume entier, c’est souvent comme si la voix de Jacques me parle.
« Fais ton examen intérieur. C’est à l’intérieur qu’est la source du bien, toujours capable de jaillir, à condition qu’on creuse toujours. » (59)
Ceux qui me connaissent un peu, ceux qui connaissaient Jacques, ne s’étonneront pas que je prise tout particulièrement celle-ci, qui constitue aussi ma réponse à la Destruction en cours.
« C’est le fait d’un caractère accompli de passer chaque jour comme si c’était le dernier, sans s’énerver, sans s’endormir, sans affectation théâtrale. » (69)
Publié dans Alliés substantiels, Au fil des jours | Tagué adolescent, analyser, Aulu-Gelle, écrire, équanimité, beauté, biologie, censure, chemin, civilisation, clarifier, commenter, cosmos, désastre, dignité, enfant, formuler, Histoire, homme, humanisme, humanitas, idéalisme, Jacques Cels, jouissance, justesse, Justice, Le dernier chemin, Les Îles secrètes, lire, mise en perspective, Montaigne, nature véritable, négationnisme, Orwell, pensées, phare, pouvoir, racisme, rare, réel, révisionnisme, Renaissance, rien, Savoir, Sénèque, tout, transmettre, voix | Leave a Comment »