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Archive for novembre 2013

Dans les heures décisives où le refus s’exprime au grand jour, la parole cesse d’être le privilège de quelques-uns ; elle renonce à s’affirmer dans celui qui l’exerce pour s’effacer devant la vérité d’une parole commune qui, surgie d’un monde livré à l’assoupissement, traduit l’effervescence de la vie.

Comme une telle parole est rare, nous nous en apercevons à la surprise émerveillée qu’elle fait naître en nous : en face d’elle, nous nous sentons de trop, avec elle nous avons partie liée. Notre mutisme – qui a le sens d’une veillée pathétique – est la seule forme sous laquelle il nous appartient de nous rendre  présents à l’avènement d’une force neuve, ombrageusement hostile à tout ce qui viendrait la capter et l’asservir, subordonnée à rien d’autre qu’au mouvement souverain qui la porte. Ce qui s’y révèle sur un mode beaucoup plus actif que la simple protestation romantique, c’est le rêve d’une rupture sans retour avec le monde du calcul. Il faut souligner que sa naïveté, parfois à la limite de l’enfantillage, dissimule une vérité profonde dont cette naïveté même est comme le principe et la garantie. (suite…)

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Une mise en scène de Ivo Van Hove, Théâtre de l’Odéon, Paris, 2012.

Nous nous trompons sur Molière et la plus complexe de ses pièces. Heureusement, il est des metteurs en scène susceptibles de nous le transmettre intact, dans sa virulente modernité. La scène se déroule dans un loft berlinois. Les alexandrins de Molière, désintégrés, ont fait place à une adaptation en prose allemande. Le spectacle est surtitré. Paris s’extasie. A-on-seulement le droit de s’interroger quand la critique est à ce point unanime? 

« Car on est ici et aujourd’hui, totalement, avec cette mise en scène qui n’hésite pas à intégrer l’iPad (sur lequel est écrit le sonnet) ni les téléphones portables, omniprésents. Chacun a le sien, dans cette société de trentenaires sans attaches, sinon la communauté qu’ils ont décidé de former, et dans laquelle Alceste joue le rôle d’extrémiste du refus du savoir-vivre. Il faut le voir se jeter sur la table basse recouverte de junk food, s’asperger le visage de Nutella, s’enfiler moult saucisses dans l’anus et « pisser » de la sauce salade. Ce n’est pas seulement trash : c’est quasiment kamikaze, comme son obsession de Célimène, dont il n’arrive pas à se détacher. Il l’a « dans les neurones », en somme, cette jeune femme qui offre son corps affolant à qui en veut. »

Source : Brigitte Salino, Le Monde, 29 mars 2012, http://www.lemonde.fr/culture/article/2012/03/29/un-moliere-formidablement-trash_1677660_3246.html.

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« Quelle obscurité serait assez épaisse pour vous faire paraître moins obscur qu’elle? »

Bernard-Marie Koltès

Dans la solitude des champs de coton (1985)

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Le jeu seul, où l’on perd souvent, ne déçoit pas.

Si peu gnostique que l’on soit, on ne peut croire longtemps au pouvoir des archontes et à l’illusion où il croient nous tenir.

Je manipule des petites figurines en plomb que je fais évoluer en enfer. Ceci n’est pas une image. Lorsque je joue avec la gravité légère d’un enfant, j’échappe à la prison.

La pensée libre me paraît moins suspecte que toutes les libres-pensées autoproclamées,  autosatisfaites, repues. Jouant, je l’exerce dans le plaisir. Jouant, je quitte toute défroque susceptible de me laisser cataloguer ou de me prendre au sérieux. Jouant, je me faufile dans l’une des sphères du Temps.

Le jeu est l’unique point commun entre l’art, le sacré, la poésie, l’érotisme, l’humour, « l’enfance retrouvée à volonté ».

J’entends les voix de Caillois et de Huizinga, délicatement recouvertes par la conversation infinie que Nietzsche a initiée avec Bataille.

Jean de La Fontaine range ses dés et hésite : les cartes ou le damier?

© Christophe Van Rossom, Armes & bagages, inédit.

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«  Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. »

Devise de Guillaume le Taciturne

 

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On me demande çà et là de rappeler le contenu de l’Édit de Thessalonique, promulgué par Théodose, en 380, et drastiquement appliqué dans tout l’Empire en moins de dix ans, si je ne m’abuse. J’en profite aussi pour souligner qu’il fut le premier, pour les raisons que l’on devine, à promulguer une loi condamnant à mort l’homosexualité et qu’il fit interdire les Jeux Olympiques en raison de leur caractère insupportablement païen. Des bibliothèques furent anéanties, des statues martelées, des temples dévoyés. Les écoles philosophiques fermèrent les unes derrière les autres, sans autre choix possible. Quelques sages émigrèrent, d’autres durent vivre et penser cachés, dans la terreur d’être dénoncés.

Pour notre bien à tous, et afin que le seul ordre acceptable régnât enfin sur l’Empire. (suite…)

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Ouvrage de Cicéron
Avec un an de retard, j’ai appris hier soir la mort de l’un de mes premiers maîtres. Sans lui, sans le latin et le grec, dont il m’a transmis le goût rigoureux pour la justesse de la lettre, je ne serais rien de celui que je suis devenu. Dans l’athénée où il professait, je ne sache pas qu’un seul de ses collègues aurait pu m’amener à l’amour continué où je me trouve, depuis ses premières leçons, pour la langue, le savoir et la poésie des Anciens.
Que dire?
Nous avons eu la chance de l’avoir pour professeur chaque année, de la première à la rhéto. Nous avons eu la chance de l’avoir pendant deux ans entiers, pendant neuf heures par semaine, pour professeur de grec et de latin. Nous avons eu le bonheur d’apprendre. Tout savoir procède de la joie et engendre la joie.
Il fut l’exigence. Il l’aimait. Philologue sourcilleux et encyclopédiste hétéroclite, il travaillait avec passion, éditait, commentait, critiquait, quand tant de visages ne puent que l’asservissement ou la tâcheronnerie. Sont incapables de donner pour la beauté du don. Il égratignait avec le même esprit qu’il lui arrivait soudain de saluer avec sérieux.

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Christophe Van Rossom s’entretiendra

avec Jean-Paul Michel

à la faveur de la parution du volume

Écrits sur la poésie (1981-2012)

Jean-Paul Michel, vu par Guillaume Bonnaud & Sud-Ouest Dimanche 

Jean-Paul Michel, vu par Guillaume Bonnaud

(© Sud-Ouest Dimanche)

Rêvant, on peut imaginer le tableau suivant : Hölderlin conversant avec Hopkins, qu’encadreraient Dante et Georges Bataille. De part et d’autre de la table, il y aussi Baudelaire, Gracián, Nietzsche et Rimbaud, Pascal et Dostoïevski, Blake, bien sûr, Homère, et Mallarmé. On croit rêver cette scène – on aimerait dire : cette cène. On ne la rêve pas. Ami de la peinture autant que la vraie littérature, Jean-Paul Michel la représente sous nos yeux depuis environ quatre décennies, que ce soit en éditant ou en publiant des livres de poésie – mais aussi, sous forme continue ou fragmentée, sous forme de lettres ou d’entretiens, en donnant avec une  juste parcimonie des textes de réflexion sur la question de la Beauté, de l’Art, du Réel, de la Justice ou de la Vérité. (suite…)

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Fritz LANG, METROPOLIS (1927)

Metropolis (1927), de Fritz LANG

J’enseigne l’histoire des littératures et l’histoire du cinéma. Je me livre à une activité de plus en plus coupable : rappeler aux hommes et aux femmes de ce XXIème siècle qui ils sont et d’où ils viennent. Ils n’est pas sûr qu’ils aiment cela. Il n’est pas acquis qu’un coup d’arrêt ne soit bientôt donné à une semblable transmission. 1927 est l’année de publication de Sein und Zeit de Martin Heidegger. L’art porte témoignage, l’art est la seule mémoire. Il se trouve que chaque figurant choisi pour cette scène a fait l’objet d’une audition séparée. Pour Lang, il fallait que chaque comédien fût pleinement individu singulier. Nous ne voyons pas les visages. Nous discernons des nuques ployées. Cela entre et sort de façon synchrone. Nous nous contemplons dans la même lâcheté et la même peur. Nous préférons l’air usiné où nos corps servent des machines aux vents du monde extérieur. Le silence règne. Un ouvrier tombe, le voilà aussitôt remplacé. L’horloge domine. Moloch règne. Partout.

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