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Archive for février 2020

« La fonction de l’art n’est pas, comme le croient même certains artistes, d’imposer des idées ou de servir d’exemple. Elle est de préparer l’homme à sa mort, de labourer et d’irriguer son âme, et de la rendre capable de se retourner vers le bien. »

Andreï Tarkovski

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La culture néandertalienne se déploie sur 150.000 ans. Si l’on considère que la nôtre naît avec l’écriture ou les villes, on peut la faire remonter à 6000 ou 8000 ans, 10.000 ans, peut-être, si l’on ergote. Si l’on tient que c’est avec la Renaissance que naît un embryon de civilisation occidentale, nous nous sommes efforcés de créer une modalité de vie en commun et de pensée à peine âgée de quelques siècles. Qui sommes-nous pour asséner des leçons? Manifeste-t-on une pensée, une imagination, une créativité plus vaste que les premiers Sapiens Sapiens, les Neandertal ou les Denisova?

Que l’on me donne le nom d’un homme d’aujourd’hui qui a vu le tonnerre frapper la terre, puis un bûcher se déclarer, non pour reculer, comme la masse épaisse, mais pour approcher son bras audacieux du feu et en retirer une branche encore enflammée et la brandir haut, en riant? Savez-vous que ce geste improbable, Prométhée n’étant encore qu’une vague possibilité au sein des limbes quantiques, nul dieu ne hantant le ciel, nul de nos semblables n’arpentant la savane ou les vallées, Ergaster, notre lointain cousin, l’a tenté il y a 500.000 ans, sinon davantage, sur le sol de la superbe Afrique?

Considérer les choses avec humanisme, c’est-à-dire avec perspective, c’est-à-dire avec une connaissance lettrée, archéologique ou paléontologique du passé, nous invite à quelque leçon d’humilité? Nous rapproche de cette terre ardente où le ciel se reflète dans les eaux, et que, éphémères et point trop mécontents d’une métropole crue moderne, nous oublions du soir au matin. Nous écartons de nos rêves. À moins qu’un orage, une tempête, un tremblement de terre, une éruption volcanique, nous rappelle soudain à un ordre, un κόσμος qu’aucun de nos lointains aïeux ne perdait de vue une seule seconde.

Adonis, Orion, Actéon, Narcisse : tous punis! La raison officielle, soit la raison du plus fort, soit celle des dieux, de la religion, active ou devenue lambeaux de mythes, les désigne comme coupables de blasphème. Nemrud sera semblablement puni, avec une atroce perversion, par le dieu vétérotestamentaire. Avant de devenir guerrier et roi, avant qu’il s’engage à rallier les navires d’Agamemnon afin de détruire et piller la ville de Priam, Ulysse était célébré par les siens comme le plus habile chasseur d’Ithaque. La tension de la corde de son arc l’atteste pour l’éternité.

J’avance l’hypothèse étrange que les châtiés se comptent tous au nombre des plus valeureux chasseurs de leur temps. L’arc et la vie ont heureuse consonance, oui, Héraclite aux ongles brûlants, brûlés. Guetteurs et veilleurs, protecteurs du clan et nourrisseurs, traqueurs de traces et conteurs et inventeurs. Tels furent les chasseurs, nos devanciers remarquables. Face à eux, nous ne sommes que piètres petits joueurs de billes. Les modèles à méditer s’effacent, dont nous n’avons d’ailleurs que superficiellement effleurer les récits. Jusqu’à une époque proche, l’on réécrivit systématiquement ces mythes, les adaptant à la tolérance du clergé du jour. La violence des provisoires vainqueurs de cause sans substance est dans nos murs. La Loi et la Religion rôdent en nos rues. La guerre civile mondialisée a lieu sous nos yeux, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Plus rien ne témoigne de l’ordre secret du temps que je signale. La liberté est une venaison à point rôtie dont nous n’avons nulle idée de la saveur.

Les veilleurs manquent, oui. Les scribes mémorieux. Nous sommes incapables de formuler le nom d’un seul chasseur. En quel âge de l’être vivons-nous?

© Armes & bagages, à paraître.

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