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Pour Jacques Crickillon,
Salut et gratitude à l’Indien de la Gare du Nord

Ma matinée de cours dans les jambes, l’esprit encore lessivé à sec par mon insomnie, j’arrive cependant à temps à l’Accueil de l’Hosto. Je prends mon ticket, tel un client de boucherie, et m’assois face aux écrans où défilent des nombres et les chiffres des guichets…

Attente bien inutile : « il fallait descendre immédiatement en radiologie », m’expliquera-t-on laconiquement. Il est vrai : nul n’est censé ignorer la Loi.

En radiologie, le secrétariat est d’humeur provincialement joviale (j’assiste à des gloussements entre secrétaires sur le caractère amusant du nom de tel patient ou sur l’existence ou non d’un praticien sis avenue Molière, à Wavre) et, tandis que la file s’allonge, je lanterne avant d’apprendre que les prescriptions d’examen de M… ne sont pas parvenues. Je mets au panier mon second ticket de la journée et reprends mon baluchon.

Détour, donc, vers l’aile opposée du bâtiment, par le secrétariat de mon chirurgien, où il faut réimprimer les documents, alors qu’ils étaient censés être arrivés à l’autre bout de l’hôpital il y a six semaines.

Retour, et attente bis en radiologie, où j’ai troqué mon avantageux numéro 202 contre le numéro 219.

Par conséquent, plusieurs personnes passeront  devant moi, car, dans un hôpital belge moderne et modernisé, l’intranet, avec lequel travaillent pourtant les médecins, ne permet apparemment pas aux secrétariats d’accéder d’un service à l’autre.

Avec plusieurs rendez-vous fixés dans la suite de l’après-midi, je ne suis plus certain à ce stade de pouvoir être accueilli partout. J’ajoute que j’ai beaucoup de chance. Bien des hôpitaux sont administrativement et infrastructurellement bien plus plus mal lotis que le mien. Je songe un instant aux Invasions barbares, de Denys Arcand.

Appelé presque comme un élu (il y a toujours de la jalousie dans le regard de ceux qui patientent tandis que c’est votre nom qui résonne dans le couloir), je passe une bonne vingtaine de minutes dans un minuscule vestiaire glacé avant d’être pris en charge par un stagiaire dont je ne suis pas certain qu’il comprenne le contenu de la demande d’examen. Je lui explique donc moi-même ma pathologie et la radio qu’elle requiert.

Il s’agissait bien d’un stagiaire, et j’ai le bonheur d’avoir été élu parmi les cobayes sur lesquels il devra s’exercer, sous la houlette d’un praticien aguerri, à la manipulation de l’appareil de radiographie et aux consignes à donner au patient. Tout cela le contraint à recommencer plusieurs clichés. De toutes les radios que j’ai passées, celle-ci a été la plus douloureuse, non en raison des maladresses et de la brusquerie du pauvre bougre, mais tout simplement parce que placer ma nuque, mon dos ou laisser pendre « bien détendus » mes bras me sont devenus douloureux à l’extrême.

Heureusement, j’enchaîne avec un scan rondement mené qui me replace dans les temps.

J’arrive même chez M… avec cinq minutes d’avance sur l’heure de mon rendez-vous – mais pour apprendre que je dois remonter à l’Accueil et m’inscrire à cette consultation précise…

Je m’exécute et empoche mon troisième billet gagnant, passe aux toilettes pour me rafraîchir le visage, qui bout, souffler bruyamment et réajuster mon lombostat. J’ignore dans combien de minutes je saurai. Quel que soit le diagnostic posé, j’avoue qu’il m’inquiète à l’avance. Dans le meilleur des cas, une nouvelle intervention pourra m’aider ; dans le pire, j’en serai à devoir continuer de gérer la douleur et les ennuis croissants à grands renforts de médicaments impuissants à me soulager réellement.

Le pire advient. M… ne lit rien d’anormal dans mes examens. Il ne met pas en cause les douleurs et la symptomatologie que j’évoque, mais il se déclare, navré, totalement impuissant à m’aider.

J’en reviens à zéro dans mon parcours du combattu, exilé cette fois en neurochirurgie et, pour commencer, me trouve à renouveler une énième électromyographie!

Au secrétariat du spécialiste que me recommande M…, une jeune femme, très aimable, mais débordée de travail, me propose un éventuel premier rendez-vous le 19 juillet! Je la remercie : comment et de quel droit m’en prendre à sa candeur réellement désolée?

La colère ronge mon calme comme un rat d’expérience se cogne aux murs du labyrinthe dont il veut s’échapper.

Je retourne au service de chirurgie orthopédique pour manifester mon mécontentement et mon incompréhension. La brave secrétaire de M…., qui avait déjà fermé son bureau, me promet que, dès demain elle s’efforcera de trouver une solution.

Concrètement, je dois revoir le professeur B… à la Clinique de la Douleur mardi prochain, à 8h40, pour électromyographie des membres supérieurs donc, et bilan. Je crains qu’il n’ait malheureusement guère mieux à me suggérer que l’an dernier, c’est-à-dire dans mon cas précis : rien.

Au-delà et en attente d’un mieux que je m’efforce de trouver, je pense que je vais accepter la proposition, ancienne désormais, de quelques toubibs de terrain qui ont proposé de me prescrire des patchs de morphine de 48h. Je verrai si je réagis comme il y a quelque temps, étudierai mon accoutumance et ses effets négatifs sur mon organisme et ma pensée, mais mon intention n’est nullement de devenir une attraction dans l’arène de la souffrance quotidienne continue.

© Armes & bagages, 2021.

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La culture néandertalienne se déploie sur 150.000 ans. Si l’on considère que la nôtre naît avec l’écriture ou les villes, on peut la faire remonter à 6000 ou 8000 ans, 10.000 ans, peut-être, si l’on ergote. Si l’on tient que c’est avec la Renaissance que naît un embryon de civilisation occidentale, nous nous sommes efforcés de créer une modalité de vie en commun et de pensée à peine âgée de quelques siècles. Qui sommes-nous pour asséner des leçons? Manifeste-t-on une pensée, une imagination, une créativité plus vaste que les premiers Sapiens Sapiens, les Neandertal ou les Denisova?

Que l’on me donne le nom d’un homme d’aujourd’hui qui a vu le tonnerre frapper la terre, puis un bûcher se déclarer, non pour reculer, comme la masse épaisse, mais pour approcher son bras audacieux du feu et en retirer une branche encore enflammée et la brandir haut, en riant? Savez-vous que ce geste improbable, Prométhée n’étant encore qu’une vague possibilité au sein des limbes quantiques, nul dieu ne hantant le ciel, nul de nos semblables n’arpentant la savane ou les vallées, Ergaster, notre lointain cousin, l’a tenté il y a 500.000 ans, sinon davantage, sur le sol de la superbe Afrique?

Considérer les choses avec humanisme, c’est-à-dire avec perspective, c’est-à-dire avec une connaissance lettrée, archéologique ou paléontologique du passé, nous invite à quelque leçon d’humilité? Nous rapproche de cette terre ardente où le ciel se reflète dans les eaux, et que, éphémères et point trop mécontents d’une métropole crue moderne, nous oublions du soir au matin. Nous écartons de nos rêves. À moins qu’un orage, une tempête, un tremblement de terre, une éruption volcanique, nous rappelle soudain à un ordre, un κόσμος qu’aucun de nos lointains aïeux ne perdait de vue une seule seconde.

Adonis, Orion, Actéon, Narcisse : tous punis! La raison officielle, soit la raison du plus fort, soit celle des dieux, de la religion, active ou devenue lambeaux de mythes, les désigne comme coupables de blasphème. Nemrud sera semblablement puni, avec une atroce perversion, par le dieu vétérotestamentaire. Avant de devenir guerrier et roi, avant qu’il s’engage à rallier les navires d’Agamemnon afin de détruire et piller la ville de Priam, Ulysse était célébré par les siens comme le plus habile chasseur d’Ithaque. La tension de la corde de son arc l’atteste pour l’éternité.

J’avance l’hypothèse étrange que les châtiés se comptent tous au nombre des plus valeureux chasseurs de leur temps. L’arc et la vie ont heureuse consonance, oui, Héraclite aux ongles brûlants, brûlés. Guetteurs et veilleurs, protecteurs du clan et nourrisseurs, traqueurs de traces et conteurs et inventeurs. Tels furent les chasseurs, nos devanciers remarquables. Face à eux, nous ne sommes que piètres petits joueurs de billes. Les modèles à méditer s’effacent, dont nous n’avons d’ailleurs que superficiellement effleurer les récits. Jusqu’à une époque proche, l’on réécrivit systématiquement ces mythes, les adaptant à la tolérance du clergé du jour. La violence des provisoires vainqueurs de cause sans substance est dans nos murs. La Loi et la Religion rôdent en nos rues. La guerre civile mondialisée a lieu sous nos yeux, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Plus rien ne témoigne de l’ordre secret du temps que je signale. La liberté est une venaison à point rôtie dont nous n’avons nulle idée de la saveur.

Les veilleurs manquent, oui. Les scribes mémorieux. Nous sommes incapables de formuler le nom d’un seul chasseur. En quel âge de l’être vivons-nous?

© Armes & bagages, à paraître.

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Extrait de Sur la justice[1], d’Épiphane, fils de Carpocrate

 

En quoi consiste la Justice ? En une communauté d’égalités. Un ciel commun se déploie sur nos têtes et recouvre la terre entière de son immensité, une même nuit révèle à tous indistinctement ses étoiles, un même soleil, père de la nuit et engendreur du jour, brille dans le ciel pour tous les hommes également. Il est commun à tous, riches ou mendiants, rois ou sujets, sages ou fous, hommes libres ou esclaves. Dieu lui fait déverser sa lumière pour tous les êtres de ce monde afin qu’il soit un bien commun à tous : qui oserait vouloir s’approprier la lumière du soleil ? Ne fait-il pas pousser les plantes pour le profit commun de tous les animaux ? Ne répartit-il pas également entre tous ? Il ne fait pas croître les plantes pour tel ou tel bœuf mais pour l’espèce des bœufs, pour tel ou tel porc mais pour tous les porcs, pour telle ou telle brebis mais pour toutes les brebis. La justice, pour les animaux, est un bien qu’ils possèdent en commun. (suite…)

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