Borges, de loin – de Christian Garcin[1]
Il y a, à Adrogué, « une vaste demeure à l’odeur de chèvrefeuille, entourée d’un long mur rose », comme il y a une bibliothèque, celle du père – bibliothèque dont on ne sort sans doute jamais. Il y a Jorge Luis Borges, et il y a l’autre, sur qui l’on écrivit et ne cesse d’écrire, que l’on reçut, honora et continue d’honorer comme l’auteur d’une des œuvres majeures du siècle dernier. Celui qui est devenu à son tour personnage de fictions[2] et prétexte à légendes. Il y aussi un tigre qui traverse toute une vie, quelques regrets discrets, pudiques, et d’infinis jeux d’échos, de miroirs, de correspondances, le tout composant un vaste dédale ironique et érudit.
Afin de ne pas répéter, afin de ne pas s’empêtrer dans des commentaires, stériles ou décevants, Christian Garcin a choisi plutôt de s’établir dans la distance propre à l’admiration, c’est-à-dire dans le jeu. Plutôt que de parler de Borges, ou sur l’œuvre de Borges, fasciné par le mur rose auquel toute sa vie l’Argentin resta attaché, il préfère rôder autour et alentour. Appuyer ou souligner les mystères, les flous, les légendes. Mais aussi, principe de la collection oblige, rappeler les raisons personnelles de son goût pour l’auteur des Fictions. Cela aurait pu être Kafka, sûrement ; cela aurait pu mieux encore être Faulkner (traité par ailleurs merveilleusement par Pierre Bergounioux dans la même collection) ; mais c’est la figure de Borges qui a surgi, finalement, comme une évidence, pour désigner l’autre nom peut-être de la littérature au XXème siècle. (suite…)