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Posts Tagged ‘Jacques Lacarrière’

« Lorsque la mort, le pillage, l’incendie, l’extermination campent à votre porte, que Dieu Lui-même faillit à préserver la vie de tous ceux qui L’implorent, égorgés en plein coeur des mosquées, des églises et des synagogues, qu’Il faillit même à protéger Ses Livres saints, ceux que lui-même auraient dictés (quand, deux générations plus tôt, pendant la prise et le pillage de Boukhara, Gengis Khan arriva devant la grande mosquée, il y pénétra à cheval et fit remplir d’avoine à l’intention de ses chevaux les coffres ouvragés contentant le Coran et rien ne bougea sur la terre ni dans les cieux, aucune étoile ne s’éteignit, aucune source ne se tarit, nul séisme ne secoua le sol), quand le ciel fait ainsi cruellement défaut, que seuls règnent sur la terre le silence de Dieu et Son indifférence, que reste-t-il d’autres à faire que de se réfugier dans les mirages et les exorcismes de l’art, d’historier portails et façades, de couvrir murs et coupoles de céramiques bleues pour tenter d’embellir ce qui reste du monde? Quand les prières sont inutiles, quand toutes les supplications sont vouées au néant, quand nul ne vous écoute ni ne perçoit vos cris, ni sur terre ni au ciel, que faire d’autre que d’inventer de nouveaux cieux, des cieux factices, certes, mais parées de faïence et d’azur, des cieux humains, ceux-là, mais au moins proches et présents, face à la désertion et à la cruauté du ciel divin? »

Jacques Lacarrière

La poussière du monde (1997)

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Extrait de Sur la justice[1], d’Épiphane, fils de Carpocrate

 

En quoi consiste la Justice ? En une communauté d’égalités. Un ciel commun se déploie sur nos têtes et recouvre la terre entière de son immensité, une même nuit révèle à tous indistinctement ses étoiles, un même soleil, père de la nuit et engendreur du jour, brille dans le ciel pour tous les hommes également. Il est commun à tous, riches ou mendiants, rois ou sujets, sages ou fous, hommes libres ou esclaves. Dieu lui fait déverser sa lumière pour tous les êtres de ce monde afin qu’il soit un bien commun à tous : qui oserait vouloir s’approprier la lumière du soleil ? Ne fait-il pas pousser les plantes pour le profit commun de tous les animaux ? Ne répartit-il pas également entre tous ? Il ne fait pas croître les plantes pour tel ou tel bœuf mais pour l’espèce des bœufs, pour tel ou tel porc mais pour tous les porcs, pour telle ou telle brebis mais pour toutes les brebis. La justice, pour les animaux, est un bien qu’ils possèdent en commun. (suite…)

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I

Quand il s’embarque à Marseille, en décembre 1842, pour son fameux voyage en Orient, qui durera un peu plus d’un an, Nerval n’est plus un jeune homme, seulement en quête de fraîcheur et d’exotisme, d’érotisme facile ou de parfums sucrés et chauds. Après déjà quelques séjours en Europe – Italie, Allemagne, Autriche, Belgique – il a su tirer pas mal d’enseignements de ses errances. Il sait que l’on ne voyage pas forcément pour commercer ou pour accumuler des souvenirs d’horizons ou de cieux différents, éventuellement dans la perspective pragmatique d’en faire un livre. Et, s’il est vrai, sans doute, qu’il quitte sans pincement au cœur la France et Paris, où il a essuyé échecs et désillusions, ce qui a pu conduire certains à considérer son départ comme une forme de fuite, Nerval ne part pas pour autant sans un projet précis en tête, un peu fou peut-être, mais qu’il estime nécessaire pour élever sa pensée et sa poésie à un plus haut degré de vérité. (suite…)

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