« Lorsque la mort, le pillage, l’incendie, l’extermination campent à votre porte, que Dieu Lui-même faillit à préserver la vie de tous ceux qui L’implorent, égorgés en plein coeur des mosquées, des églises et des synagogues, qu’Il faillit même à protéger Ses Livres saints, ceux que lui-même auraient dictés (quand, deux générations plus tôt, pendant la prise et le pillage de Boukhara, Gengis Khan arriva devant la grande mosquée, il y pénétra à cheval et fit remplir d’avoine à l’intention de ses chevaux les coffres ouvragés contentant le Coran et rien ne bougea sur la terre ni dans les cieux, aucune étoile ne s’éteignit, aucune source ne se tarit, nul séisme ne secoua le sol), quand le ciel fait ainsi cruellement défaut, que seuls règnent sur la terre le silence de Dieu et Son indifférence, que reste-t-il d’autres à faire que de se réfugier dans les mirages et les exorcismes de l’art, d’historier portails et façades, de couvrir murs et coupoles de céramiques bleues pour tenter d’embellir ce qui reste du monde? Quand les prières sont inutiles, quand toutes les supplications sont vouées au néant, quand nul ne vous écoute ni ne perçoit vos cris, ni sur terre ni au ciel, que faire d’autre que d’inventer de nouveaux cieux, des cieux factices, certes, mais parées de faïence et d’azur, des cieux humains, ceux-là, mais au moins proches et présents, face à la désertion et à la cruauté du ciel divin? »
Jacques Lacarrière
La poussière du monde (1997)
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