Feeds:
Articles
Commentaires

Posts Tagged ‘Louis-René des Forêts’

Pour l’ami Samuel, dont les pollens les plus salubres irriguent l’esprit et le corps

Alors, forcément, oui, ce poème que connaissent tous les lettrés – et qui n’a rien de crépusculaire puisqu’il fut composé il y a sept décennies, au tout début de l’oeuvre généreuse et polymorphe de ce penseur, rêveur, commentateur, et immense traducteur – c’est-dire lecteur, au degré le plus intense de ce vocable. Lorsque je me rends à l’hosto et que je dois subir un moment désagréable et dont l’issue est improbable, j’emporte toujours avec moi le premier volume de Jaccottet, en Poésie/Gallimard, comme les Poèmes de Bonnefoy. Ils constituent des talismans comme certains de leurs poèmes me sont mantras, que je me récite, comme un enfant ses prières avant le coucher, au moment où j’ai rejoint la salle d’attente pré-opératoire, métallique et sans horloges autres que gelées. Je murmure entre d’autres lits blancs les poèmes que je sais. Des boucles ainsi se forment auxquelles se joignent volontiers des fragments d’Ostinato, de Louis-René des Forêts. L’Iliade, l’Odyssée (traduite par Jaccottet), les Métamorphoses, les énigmes de Chrétien, la Commedia, constituent une lignée qui va jusqu’à nous ; qui irradie d’énergie dans le théâtre de Shakespeare et nous éblouit parfois jusqu’à la cécité dans les vers de Racine ; Hölderlin (la grande passion de Jaccottet). Nerval, Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé sont les intelligences les plus averties du XIXe siècle et les meilleurs inventeurs de l’indispensable arsenal à venir… Qui a dit que ces poètes étaient morts ; que leurs textes sombraient dans les marais du Temps, à l’image de la demeure familiale des Usher? Qui aurait le front de l’affirmer en face? La poésie est sans fin car elle n’est qu’amour et confiance, loyauté envers les maîtres, force et honneur face à l’horreur comme aux adversités rampantes, imbéciles, quotidiennes. A-t-on dit assez qu’avec la figure de Jaccottet disparaissait celle de l’un de plus grands humanistes de notre époque, l’un des plus infatigables passeurs qui fussent? Or, il est impératif de le dire et de le répéter, oui, car le moment vient où l’humanisme, notre exemple et notre source, fera l’objet du plus abject, du plus navrant des procès – et il n’y a guère de doute que sa tête tombera. L’amour n’est pas la naïveté et n’exclut pas une vision limpide et critique de ce que notre monde devient. Jaccottet jamais n’abdiqua en matière de lucidité – de cette lucidité qui n’est que l’autre nom de la lumière intérieure, de la clairvoyance terrible. Et c’est pourquoi, dans quinze jours, je n’oublierai pas d’emporter dans mon baluchon ni mon Jaccottet, avec qui je n’eus l’occasion de converser qu’une fois, ni mon Bonnefoy, que j’eus la chance de rencontrer, parfois longuement, trente ans durant. Ils sont là. Ils demeurent vivants. Et ce n’est d’êtres comme eux que je suis prêt à recevoir un peu de lumière pour en faire mon pain et mon vin – en amont de la cène blanche et noire, absente, vers laquelle je vais serein mais sans aveuglement. – Avant de renaîtrehic et nunc. – Forcément.

Que la fin nous illumine

Sombre ennemi qui nous combats et nous resserres,
laisse-moi, dans le peu de jours que je détiens,
vouer ma faiblesse et ma force à la lumière :
et que je sois changé en éclair à la fin.
 
Moins il y a d’avidité et de faconde
en nos propos, mieux on les néglige pour voir
jusque dans leur hésitation briller le monde
entre le matin ivre et la légèreté du soir.
 
Moins nos larmes apparaîtront brouillant nos yeux
et nos personnes par la crainte garrottées,
plus les regards iront s’éclaircissant et mieux
les égarés verront les portes enterrées.
 
L’effacement soit ma façon de resplendir,
la pauvreté surcharge de fruits notre table,
la mort, prochaine ou vague selon son désir,
soit l’aliment de la lumière inépuisable.

Philippe Jaccottet

Read Full Post »

Fractales

Tout est comme un papyrus déchiré, un fragment : l’espace vide troisième dimension – et ce qui reste d’une éloquence, une force, à faire trembler.

 

Cristina Campo[1]

 

Criez court et vous serez peut-être secourus…

          Georges Henein[2]

I

Mais seulement les atomes, et le vide entre les atomes, affirmait Démocrite.

Ce que nous imaginons constituer une surface plane ou une sphère sans aspérités ni béances, à la lumière physique relève d’une galaxie composée de milliers d’astres et de planètes, séparés par des milliers, des millions, des milliards de kilomètres. Fragments de matière et peut-être de vie, sans lien entre eux sinon le vide cosmique qui les sépare.

Nulle étoile ne scintille sans la nuit.

Le blanc joue avec les phrases qui composent le fragment.

Les phrases sauvent. Les phrases rendent à la vie. (suite…)

Read Full Post »

Ni le silence ni la parole

Un portrait de Louis-René des Forêts

Portrait de Louis-René des Forêts, par Balthus

Portrait de Louis-René des Forêts,

 par Balthus

Nous voilà plus de dix ans après sa disparition, et, pour la plupart d’entre nous, son nom même est parfaitement inconnu.

Pourquoi ?

Comment se fait-il que cet écrivain, qui a traversé le XXème siècle et produit l’une de ses œuvres les plus exigeantes, les plus décisives, demeure dans un tel retrait ? (suite…)

Read Full Post »

Dans les heures décisives où le refus s’exprime au grand jour, la parole cesse d’être le privilège de quelques-uns ; elle renonce à s’affirmer dans celui qui l’exerce pour s’effacer devant la vérité d’une parole commune qui, surgie d’un monde livré à l’assoupissement, traduit l’effervescence de la vie.

Comme une telle parole est rare, nous nous en apercevons à la surprise émerveillée qu’elle fait naître en nous : en face d’elle, nous nous sentons de trop, avec elle nous avons partie liée. Notre mutisme – qui a le sens d’une veillée pathétique – est la seule forme sous laquelle il nous appartient de nous rendre  présents à l’avènement d’une force neuve, ombrageusement hostile à tout ce qui viendrait la capter et l’asservir, subordonnée à rien d’autre qu’au mouvement souverain qui la porte. Ce qui s’y révèle sur un mode beaucoup plus actif que la simple protestation romantique, c’est le rêve d’une rupture sans retour avec le monde du calcul. Il faut souligner que sa naïveté, parfois à la limite de l’enfantillage, dissimule une vérité profonde dont cette naïveté même est comme le principe et la garantie. (suite…)

Read Full Post »

Qu’on le croisât dans la rue ou qu’on s’approchât de lui, ce qui frappait dans la personne de Louis-René des Forêts, c’était l’acuité de son regard. Je ne parlerai pas de son silence, tant il aimait les anecdotes, sans pour autant jamais rien perdre de sa réserve, même quand il était en confiance. Il s’exprimait lentement, cherchant, contrairement au bavard, selon Kleist, à ne rien énoncer qu’il n’ait au préalable pensé. Il évitait toute précipitation, se souciant plus de comprendre que de répliquer. Durant le dialogue, son regard ne déviait pas plus de l’interlocuteur qu’il ne se détourne de l’objectif, sur les photographies qu’on garde de lui. (suite…)

Read Full Post »

Christophe Van Rossom prononcera une conférence intitulée

La neige piétinée est la seule rose 

Présence d’Yves Bonnefoy

Ici ou là

Une flaque encore, trouée

Par un brandon de la beauté en cendres. 

La vie errante (1993)

Dès les années 50, avec la publication de Du mouvement et de l’immobilité de Douve (1953), puis de Hier régnant désert (1958), le regard critique ne s’y est pas trompé : une grande conscience poétique était née. Quelques-uns avaient déjà remarqué ce jeune homme, de petite taille, mathématicien de formation, à la voix rocailleuse et à l’intelligence affûtée. Il avait lu très attentivement Baudelaire, Rimbaud et Mallarmé, fréquenté André Breton et l’atelier d’Alberto Giacometti. Il connaissait l’art italien comme personne et traduisait déjà Shakespeare. Il voyageait. Bientôt, il enseignerait et prononcerait de mémorables conférences partout dans le monde, fondant par ailleurs en 1966, avec Michel Leiris, André du Bouchet, Paul Celan et Louis-René des Forêts, une des plus prestigieuses revues du XXème siècle : L’Éphémère. Il deviendrait aussi, en 1981, titulaire d’une chaire de poétique comparée au Collège de France. (suite…)

Read Full Post »

Louis-René des Forêts, … ainsi qu’il en va d’un cahier de brouillon plein de ratures et d’ajouts…, Ostinato, fragments inédits accompagnés de vingt-quatre dessins originaux de Farhad Ostovani, William Blake & Co. Edit., Bordeaux, 2002.

 

A l’origine : un projet. Celui des Editions William Blake & co. de réunir au sein d’un même volume des dessins du peintre Farhad Ostovani, déjà salué par Yves Bonnefoy, et un texte de Louis-René des Forêts. Malheureusement, le décès de l’écrivain devait empêcher de le mener à bien. Sous un titre qui évoque à merveille l’humilité et le rythme de l’écriture de des Forêts, on trouvera néanmoins ici, un bien bel ensemble puisque y dialoguent des fragments inédits du grand œuvre de l’auteur de La Chambre des Enfants et des croquis de d’un mûrier, tout vibrants de la sève même de la vie, signés par Ostovani. Au plaisir de la lecture s’ajoute ainsi l’émotion de suivre un grand artiste d’aujourd’hui dans une quête qui n’a décidément rien à voir avec une affirmation péremptoire de plus de mirages formels qui  s’enchantent de leurs propres virtualités. (suite…)

Read Full Post »


Il n’est de poésie qui vaille que du Nom exact.

Le Nom exact d’Etre est Chance.

C’est calomnier la chance d’être que se plaindre.

Fasse taire, oiseau de malheur, la calomnie née de ta fatigue,

Ou de quelque méprise superficielle.

Etre est Beauté.

Il n’est de gloire qu’à Saluer.


« Une pensée n’est juste, comme on dit qu’une voix est juste, que si elle est un chant. », estimait Roger Munier.

Saluée dès les premiers livres par des voix aussi diverses que celles de Roland Barthes, Louis-René des Forêts, Jean-Luc Nancy, André du Bouchet, Pierre Bergounioux, Mathieu Bénezet ou Michel Foucault, l’œuvre poétique de Jean-Paul Michel – à la fois pensée comme chant et chant comme pensée, pour employer une formule avec laquelle il définit la poésie de Hölderlin – le prouve avec éclat. Qu’elle ait suscité l’intérêt de philosophes autant que de poètes ou de prosateurs n’est donc pas fortuit.

Aujourd’hui, alors qu’elle couvre déjà pas moins de trois décennies, et que viennent de paraître à quelques années d’intervalle Bonté seconde, un cahier d’hommages, d’entretiens et d’inédits dirigé par Tristan Hordé à l’enseigne de Joseph K, mais surtout, chez Flammarion, Le plus réel est ce hasard, et ce feu et de Défends-toi, Beauté violente ! qui rassemblent l’essentiel de sa poésie jusqu’en 2000, un regard d’ensemble sur le massif qu’elle constitue est donc désormais pleinement possible. (suite…)

Read Full Post »

Pas à pas jusqu’au dernier, de Louis-René des Forêts, Mercure de France, Paris, 2001.


Louis-René des Forêts, qui s’est éteint le 30 décembre dernier à l’âge de 82 ans, fut l’une des plus importantes figures de la prose française du siècle dernier. Son nom était de longue date associé à une conception à la fois exigeante et discrète de l’écriture. Et au silence aussi qui le conduisit pour de durables années à poser la plume. (suite…)

Read Full Post »