Christophe Van Rossom s’entretiendra avec Jean-Paul Goux, à la faveur de la parution de son dernier livre, Le séjour à Chenecé (ou Les Quartiers d’hiver, III).
En une rentrée placée, une fois de plus, sous le signe de romans prosternés devant la banalité ou la sordidité du réel, vides de style comme de profondeur, il est heureux de pouvoir reprendre, tranquillement, pour en jauger la valeur, les exceptions, tout de même, qui se sont manifestées au cours de l’année littéraire.
Lorsqu’au surplus la splendeur s’invite au rendez-vous, page après page, l’on se dit qu’il serait injuste de ne pas tenter de la partager.
Alexis Chauvel vit en reclus. Hors saison, il veille sur l’antique abbaye en ruines qui tient lieu de maison de vacances à sa vaste famille. Là, sur l’Épine, cette île de pierres en forme de vaisseau, flanquée de falaises, il demeure dans le silence et la solitude. Peut-être est-ce l’idiot de la famille ; peut-être est-ce seulement un homme qui a du mal avec les mots sinon aux mots. S’il fuit volontiers le contact avec les autres, c’est qu’il ne maîtrise guère la parole, et se trouve par ailleurs incapable de voir bien clair en lui. La nature peut-être lui paraît moins hostile que la culture. Et, en dépit de son attention, la charmante Julie même ne parviendra pas à rendre – à ouvrir ? – Alexis au monde.
Voici plus de trois décennies maintenant que l’œuvre de Jean-Paul Goux, pour discrète qu’elle soit encore, aime, avec un souci de la langue impérieux, à se perdre dans le pentagramme que dessinent ses obsessions : le Temps et la Beauté, l’Amour, l’Amitié et les liens familiaux. Après la magnifique trilogie romanesque que constituaient Les Champs de fouille (1989-1999), Goux s’est attelé à une nouvelle fresque : Les Quartiers d’hiver. Le Séjour à Chenecé (2012) est le récit qui la conclut et en constitue, peut-on penser, la clé secrète. Car c’est plus d’une fable ou d’un conte que d’un roman, qu’il y aurait lieu de parler, à propos de ce beau livre, hanté par la figure fascinante de Saint Alexis. Une fable sur l’incognito, sinon sur l’invisibilité. Sur le désir singulier de ne pas être vu, de ne pas être su. La jouissance que tire Alexis Chauvel de la contemplation de ce qui se trouve sous ses yeux, paraît lui suffire. Si le prix de cette extase quotidienne se paie sur le plan social ou familial, finalement peu importe. Mais tout de même, n’y a-t-il pas lieu, une fois, de porter aussi un regard décisif sur soi-même comme sur le monde ? La photographie aussi bien que l’écriture peuvent agir, on le sait, comme des révélateurs. On ne s’étonnera donc pas qu’Alexis découvre l’une et l’autre de ces démarches sur son chemin…
Mais quel est alors ce texte que nous lisons ?
La preuve qu’Alexis serait – à l’instar de son homonyme, dont l’histoire lui est révélée par La Légende dorée – enfin parvenu au récit qui élucide ? Ou n’en serait-ce, seulement, que le songe inapaisant ?
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