– Port-Royal, une anthologie présentée par Laurence Plazenet, Flammarion, Collection Mille & une pages, Paris, 2012.
Il est plusieurs histoires des littératures, comme il existe diverses formes de résistances. Je ne connais pas haine plus violente que celle qu’exerça le Soleil sur les Solitaires de Port-Royal. Sur le lieu autant qu’envers les êtres. Que, sur ordre du Roi, les os des défunts fussent abandonnés aux chiens, après avoir été sauvagement déterrés, afin que rien n’indique où venir se souvenir de ce que furent les Solitaires, laisse à songer sur la terreur qu’ils inspirèrent au plus autarcique des monarques. C’était l’hiver 1710-1711. Le froid était intense. Nous ne lisons pas les Jansénistes, nous oublions ce que nous leur devons, peut-être au-delà du Grand Siècle.
J’appartiens à un monde où mes professeurs m’expliquèrent, au moins un peu, la doctrine de la Grâce, et la place cardinale d’Augustin au coeur secret de ce qui se pensait et s’écrivait alors. Je me souviens de quelques cours sur Pascal et sur Racine. Mon professeur de littérature de ces années était médiocre. Ils valurent par conséquent moins par leur qualité que par l’abondance des informations qui, pêle-mêle, nous étaient communiquées. J’appartiens à une ère révolue. Il y avait en tout cas dans l’air des noms que quelqu’un avait lâché ; l’on pouvait à loisir les saisir ou s’en éloigner. Je choisis de m’approcher. Je lus Pascal et Racine. J’accédai un peu plus tard à un ouvrage de Jean Racine dont personne ne m’avait jamais parlé : son Abrégé. Il faut lire aussi la prose de Racine. Je commençais à lire Pascal Quignard. Je lus ses Petits Traités. Les noms de Nicole, de Monsieur Hamon, de Saint-Cyran y scintillaient. Puis m’apparut la tapisserie somptueuse tissée avec méticulosité et art par le grand Sainte-Beuve (qu’il est temps de relire). On peut aimer conjointement, non moins passionnément, Théophile de Viau, Gassendi, Cyrano, Saint-Évremond et les messieurs de Port-Royal. Il faut aimer les insoumis, il faut aimer l’intelligence, l’audace et la langue lorsqu’elle permet d’entrevoir la splendeur du ciel ou l’infini de la nuit. Il se trouve que Laurence Plazenet a publié voici trois ans un beau roman intitulé La Blessure et la Soif, dans lequel, non sans raison, la Chine lettrée de la chute des Ming s’invitait dans cette histoire déchirée. Pour appeler à son tour.
Lire appelle lire. On peut nommer cela le bonheur si l’on ne redoute pas trop les mots pour ce qu’ils signifient. Il y a quelques mois, voici que Laurence Plazenet nous offrait et commentait une anthologie sans précédent, comptant pas moins de 1300 pages bien tassées sur tous les aspects de la vie et de la pensée qui rayonna au sein et à l’extérieur de ce monastère, dirigé et animé par des femmes à la fois sûres de leurs décisions et capables de les défendre jusqu’au bout avec un panache devant lequel on ne peut que s’incliner, non moins qu’au coeur des ermitages voisins qu’il avait fait naître, dans la ferveur, et où l’on avait, semble-t-il, compris que le désert (pour dire comme Alceste) est plus ruisselant de grandeur que la Galerie des Miroirs. Que l’on pût préférer lire et méditer, prier et écrire, dans le retirement, telle fut l’unique cause de la pire des colères d’un vieillard devenu absolument le mal à force de puissance. Le silence et la parole vive, ce dont nous avons le plus besoin, ce dont on entend nous priver chaque jour davantage : voilà l’ennemi, ainsi révélé, de ceux qui ne prisent ni la liberté ni la joie.
Aujourd’hui est une oreille qui a le pouvoir d’entendre ce que hier dit à demain. Assurément hier n’est pas muet ; il faut espérer qu’à son image demain ne soit pas sourd.
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