« – Mais je ne veux pas vivre parmi les fous, objecta Alice.
– Oh! tu n’y es pour rien, dit le Chat : nous sommes tous fous ici.
Je suis fou, tu es folle.
– Comment sais-tu que je suis folle, s’enquit Alice?
– Tu dois l’être, dit le Chat, sans quoi tu ne serais pas là. »
Lewis Carroll, Les Aventures d’Alice au Pays des Merveilles
L’épigraphe choisie par Grant Morrison livre la définition même du démocratique.
Qui refuse d’être comme, est aussitôt rattrapé et menotté au ban. La démence même a son moule. Original? Soit – mais d’une originalité strictement analogue à celle de ses voisins. J’évoque l’ère de la compatibilité souriante, comme ce moment où, du corps entier du Chat, ne demeurent que les babines hilares. (Je me souviens de ma terreur d’enfant lors de ce passage comme lors de nombreux autres.)
Si tu es là, tu dois être comme nous. Si tu vis parmi nous, tu dois épouser notre pensée. Tu n’es pas ici pour autre chose. Ta seule raison d’être est cela – cette capitulation des zygomatiques qui advient lorsqu’enfin tu cèdes et te joins à la déraison généralisée.
Salut à la magnifique clairvoyance de Carroll, toujours détricotant les perverses séductions de la Logique! Tandis que Kafka met en garde contre le cauchemar de la Loi, Carroll balise l’effrayante rationalité du Chaos. Mais que pouvons-nous à présent, nous qui venons, langue en sang, après l’énucléation du sens?
Sur le bas-côté, pantelant de misère au milieu des aveugles et des sourds, nous attendons une tierce voie. La parole ne nous vient plus que sous la forme d’un mince filet de voix, qui va, rouge sombre, s’étranglant.
© Christophe Van Rossom, Armes & bagages
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