Semaine après semaine, se crapahuter d’un week-end à l’autre, pour reprendre souffle. Alterner masques, esquives, pirouettes et gesticulations, pour éviter d’y arriver crotté, sali, utilisé, usé, défiguré.
J’évoque le mal secret qui va les corps. Ce contre quoi de tout mon être je me braque, mais contre quoi il est ardu de livrer bataille. Spécifiquement, j’évoque ici ce que Sigmund Freud désigne sous le nom de Hilflosigkeit.
Chaque jour, trouver – où? – les ressources pour continuer. Parler? – À qui? Montrer qu’il y a dignité à tenter de faire coaguler le sens : pourquoi?
Très juste, cette formule ; très dure, très puissante, cette série : The Leftovers. La table étant débarrassée, que sommes-nous, sinon reliefs, déchets, rebuts?
Or, chaque jour il devient plus clair que la cène a peut-être eu lieu à différents moments de l’Histoire, mais que le festin avec lequel Arthur Rimbaud imagina un moment de renouer alliance, est loin derrière nous. Ce n’est plus No Future qu’il convient de crier, mais Too much Future! Autrement dit, trop peu de passé. Trop peu de connaissance, de reconnaissance, d’amour du Passé. De l’horizontalité jusqu’à l’écœurement, oui, partout, mais de sens et désir de verticalité, où, aujourd’hui?
Ne voyez-vous pas tout autour de vous ces troupeaux d’artistes autoproclamés, autistes, ces concernés rebelles sans histoire à raconter, car sans histoire dans le crâne, si fiers de leur immémoire? Ne les voyez-vous pas s’engager avec une belle synchronie dans le Grand Guignol des combats les plus grotesques, les moins primordiaux? Il ne se peut tout de même pas que tout le bruit qu’ils produisent autour de leurs pantalonnades si pauvres ne vous pollue les oreilles! Ne les voyez-vous pas, enfin, se rengorger de nouveauté cependant qu’ils se vautrent dans la paille souillée de l’éternel présent qu’ils vénèrent? Et ne comprenez-vous pas, dès lors, pourquoi nos rues sont si vides d’hommes véritables, en effet, Arthur Cravan?
Aucune fleur ne pousse sur une terre irradiée. Et cependant je suis avec fascination les expériences que d’aucuns tentent dans le périmètre de Tchernobyl. Et cependant, voici qu’écrivant, j’observe, telle une montée de sève ignée, la convergence en l’écriture de forces qui se font forges.
Je laisse un instant sur le côté Musashi Miyamoto et son Traité des Cinq Roues. Une sagesse et un art de vie sont possibles si l’on est capable de tenir un sabre à la main et si ce dernier s’est trouvé ensanglanté pour de bonnes raisons. Un samouraï sans katana est impensable – sauf au pays des non-hommes où je vis. Qui n’a pas eu le bonheur de lire les traductions et les commentaires que Marguerite Yourcenar a donnés sur Yukio Mishima, ne comprend pas ce que je suggère. Qui ne s’est pas posé la question de savoir pourquoi l’écrivain français consacra tant de temps à traduire précisément ce confrère japonais, auteur lui-même d’une « éthique du samouraï », ne pourra pas non plus aller loin sur ce chemin.
L’art de la guerre est un art poétique. Je dis une discipline et une recherche dont la portée vise à sauver les quelques individus qui se défient activement du Gros Animal et des monstres que ses grossiers aboiements engendrent.
© Christophe Van Rossom, Armes & bagages, à paraître, 2020.
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