À la faveur des premiers beaux jours de deux mille douze, est paru à Montréal, à l’enseigne de L’Oie de Cravan (Les Oies de Cravan naissent des mâts pourris des navires perdus au golfe du Mexique, écrivait Scutenaire), un singulier spicilège. D’une modestie et d’une subtilité inverse à leur modèle homonymique, ces Choses vues, épinglées par Thierry Horguelin, appellent l’attention. Relevant à la fois de ce que les Britanniques nomment humor et d’un goût encyclopédique pour le minuscule, l’étrange, la folie ou le cocasse, voici une anthologie de faits d’autant plus improbables que parfaitement avérés. Les amateurs de prose brève, à la Félix Fénéon, seront aux anges – surtout s’ils se trouvent par ailleurs lecteurs de Pérec et de ses listes.
Au milieu du livre, Horguelin écrit :
« Au salon de la revue de Paris, alors que tout le monde se précipite vers les petits fours, je sens un regard braqué sur mon dos. Je me retourne, Jean Benoît est là, qui me toise avec un souverain mépris.
Mais Jean Benoît est mort il y a quelques semaines. Son sosie – ou son fantôme – continue de me fusiller du regard, les lèvres pincées. Toute sa personne est un reproche muet adressé à mon existence. Et cela dure – un temps considérable.
Je finis par me détourner, en proie à un profond malaise. Un peu plus loin, je me retourne. Il est toujours planté là, présence irréelle au milieu de la foule, qui me vrille du regard. »
Cela m’est également advenu.
Le spectre de Jules Laforgue sourit.
Chez le même éditeur et du même auteur, on pourra aussi découvrir avec profit Le Voyageur de la nuit (2005) et La Nuit sans fin (2009).
Votre commentaire