Michel Lambiotte,
– L’autre côté du hasard, Le Cormier, Bruxelles, 2010.
– Vacance et lumière, Le Taillis Pré, Châtelineau, 2011.
– 90 Poèmes (Choix et présentation d’Yves Namur), Le Taillis Pré, Châtelineau, 2011.
La physique contemporaine paraît unanime désormais sur un point : la lumière la plus éclatante est aussi la plus obscure. Insoutenable, par conséquent, ou, plus exactement, imperceptible par nos sens débiles et impatients. Yves Bonnefoy écrit qu’il est un sixième et plus haut sens. Il le nomme poésie – seule activité humaine qui soit susceptible en effet de se faire tendre langue approchant le front de l’énigme et assurance d’un monde ouvert à la mémoire du temps.
Je ne sache pas aujourd’hui, en Belgique, de poète plus attentif, plus scrupuleux à sonder l’instance de l’invisible que Michel Lambiotte. C’est que, très largement, les mots du poète se font regard pur, c’est-à-dire accueil muet, plutôt que parole ou main prédatrice. Yves Namur a ainsi raison de souligner qu’établie dans le voisinage de celles d’un du Bouchet ou d’un Verhesen, l’œuvre de Lambiotte emboîte bien souvent le pas à la démarche du peintre. Or ce dernier ne vise pas, à en croire Picasso, à répéter le visible, mais plutôt à témoigner de ce que l’on voit, et, le plus volontiers, au-delà des apparences.
Les titres de ses recueils eux-mêmes en attestent, l’objet de cette poésie discrète et patiente aura bien été de scruter l’espace-temps de la lisière. L’absence et la présence, le suspens et le passage, l’ombre et le silence. Le blanc et la nuit, le temps et le songe, la vacance et l’imprévisible. La marge et les confins, le reflet et la figure, le souffle et la buée.
Si le poème dès lors n’a de cesse d’interroger ce que nous nommons, peut-être trop vite, le réel, force est de constater que ce qu’il privilégie, ce ne sont pas ses aspects les plus immédiats, les plus mesurables ou les plus définissables. Bien plutôt, c’est l’avers, infini, du monde, de l’être et des perceptions vers lesquels il se tourne, non sans humilité ni prudence. Le poème comme mode secret d’une résonance, en somme, ou comme une concordance des signes, ou encore comme un reflet des sommes du temps.
Ajoutons que, pour singuliers que puissent apparaître son surgissement, lent et mystérieux, et son espacement, le poème se veut ici avant tout le lieu de communication d’une expérience, ou, pour le dire comme Lambiotte lui-même, cet éclair où rosit la soie du partage. S’il peut nous sembler que le ciel est désormais bien vide et que nous-mêmes ne sommes que de vaines formes de la matière, ainsi que le pensait Stéphane Mallarmé, voici une parole qu’il est peut-être important d’écouter vibrer, avant de conclure hâtivement. Car si le poète sait bien reconnaître dans sa démarche qu’elle est obscure leçon du vide, autrement dit école de nescience et d’ouverture, il fait valoir non moins que, du sein même de la fragile position où il se tient, le poème peut également nous révéler, plus d’une fois, que ce qui se trouve devant nous rayonne aussi à l’instar d’une écorchure d’étoile. Les penseurs gnostiques d’Alexandrie n’auraient certes pas pu mieux dire.
© Christophe Van Rossom
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