Michel Lambiotte, De plus loin encore, suivi de En compagnie d’un ami, postface de Fernand Verhesen, Le Taillis Pré, Châtelineau, 2003.
Auteur d’une œuvre qui compte à ce jour une quinzaine de volumes, Michel Lambiotte est assurément l’un de nos poètes les plus exigeants. Discret, il a même souhaité poser la plume, à l’exception d’un livre paru en 1981, pendant plus de quatre décennies. Or, force est de constater que, depuis une bonne demi-douzaine d’années, il est bien revenu à son travail sur les mots avec de nouveaux recueils1 dont il y a peut-être lieu, au moment où Yves Namur fait paraître De plus loin encore, son dernier livre à ce jour, de considérer les enjeux esthétiques et ontologiques, sinon métaphysiques avec attention.
Dans le voisinage d’un André du Bouchet ou d’un Jacques Dupin, à l’évidence familière de l’ombre portée par les hautes figures déchiquetées de Giacometti, Lambiotte élabore un espace littéraire en permanente tension. Le poème ici est surtout poème du poème. Ainsi que l’écrit Verhesen, il est “ expérience au sein même de l’écriture, et dans son cours comme dans son décours sans que l’un ou l’autre épuise jamais sa genèse. Pensante d’elle-même, cette écriture à la fois se reflète et se prononce. ” Qu’est-ce à dire ? Eh bien, avant tout, qu’on a affaire à ce que l’on pourrait dire un méta-poème. Un texte ayant établi son aire, par delà le surgissement des contraires, dans les interstices ou les intervalles. Entre le silence et la parole. Entre le proche et le lointain. Entre absence et présence. Entre lumière et obscurité.
Entre le signe et ce qui l’efface aussitôt, entre le souffle et son étouffement, entre intériorité et désir de l’extériorité, il semble bien en effet pour Lambiotte que rien ne soit dicible de façon transitive, immédiate ; que rien ne se laisse capturer que par un jeu perséen où l’on ne peut s’approcher et voir qu’en détournant le regard vers le miroir. D’où certainement aussi la scansion aérée si particulière de ses vers rares sur la page qui les scie de blanc comme pour indiquer que la vérité n’est peut-être nulle part ailleurs que dans la vibration qui en émane alors, ces incidences du souffle, comme il dit quelque part. De même, on pourrait dire de la figure qui se détache de son poème qu’elle s’apparente moins au dessin tracé au bâton ou au doigt par un moine zen, que le geste qui consiste à l’effacer bientôt.
Le poème ne comble donc pas. Il creuse toujours plus avant ce qu’il y a à dévoiler et ne dit qu’en faisant sans cesse reculer la possibilité même de dire ce qui est cependant le simple : la capture du blanc / dans le soleil des herbages. C’est que Lambiotte en est conscient de façon aiguë : la parole, fût-elle la plus spontanée, déconstruit derechef tout assentiment exprimé à la présence, à l’être du monde aussi bien qu’à notre corps lui-même. Crier, c’est fatalement toujours recomposer l’écart. Si pour autant sa poésie ne renonce nullement à assumer ses fonctions de leçon de vie loyale et de compagnonnage fraternel et lucide avec ce qui est, et si c’est bien mains offertes à la rencontre qu’elle se présente, elle ne le fait pas moins avec le sentiment que c’est de façon traversière, biaisée qu’il faut procéder.
Sa syntaxe elliptique, abrupte parfois, en témoigne. Et c’est également ce que semble suggérer une poétique où le verbe, qui manifeste l’infini chatoiement des apparences, est toujours subordonné au nom, qui est la substance même. Ce faisant, en ontologiste prudent et volontiers interrogateur, conscient de la difficulté que suppose la tâche que représente le rapprochement réversible des pôles, Lambiotte parvient à désigner les assises et les solives de l’Etre, cette énigme à distance soustraite.
Mémoire présente de l’Etre éternel davantage que souvenirs d’un homme, pure brûlure du temps sans retour, la poésie de Lambiotte opère comme un relais entre conscience et réel. Implantée dans une zone franche où elle peut à loisir méditer et diffracter selon sa lumière, elle produit une véritable rupture des sens qui, loin d’être stérile, s’avère à terme ouverture à un autre regard et un autre souffle.
© Christophe Van Rossom
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