« L’aube s’organisait au fond d’un paysage de toits et de feuillages. Ce n’était plus un de ces moments de débordement que j’avais si bien connus autrefois et qui, pour un temps court, me guérissait de l’habitude ; ce n’était pas non plus la résignation que j’avais haïe, bien au contraire, mais cet autre sentiment qui se dégageait, fragile peut-être et provisoire, d’être aussi loin que possible de l’agitation et du manège du monde. J’écris ceci qui peut paraître ridicule : je me sentais sauvé. Et il y avait peut-être dans cette certitude qui soudain m’avait envahi (certitude d’être inaccessible), une joie telle que j’avais la nette sensation d’avoir trouvé ma voie, je veux dire cette sensation de ne plus vivre honteusement raccroché à quelque tromperie. Et alors sentant que j’allais pouvoir travailler, la vie me paraissait inappréciable, qui me permettait d’observer, d’éprouver, de comparer ses réactions si différentes mais où je n’entrais plus moi-même, comme si je m’étais retiré du jeu pour voir les derniers effets. En attendant pire. »
Philippe Sollers
Une curieuse solitude (1958)
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