Les droites européennes, de plus en plus illettrées, s’embrouillent dans leur abécédaire. Dans quelle cave des Bourses mondiales a-t-on enfermé et bâillonné l’esprit de liberté, explorateur, inventif et audacieux? La flexibilité élevée au rang de credo, l’agenouillement devant les lois du marché et la prosternation devant des courbes statistiques sont des acrobaties ignobles.
Les pères fondateurs de la gauche émancipatrice se retournent tous dans la fosse où leurs amnésiques descendants ne cessent de les reléguer. La mauvaise conscience n’est leur fort que lorsqu’elle rapporte électoralement. S’il leur était donné de se lever, d’un mot ces libertaires désireux d’un élitisme pour tous foudroieraient la lâche médiocrité de leurs indignes héritiers, leur haine envers l’intelligence et leur indifférence à l’égard ce qui élève l’humain! Où drogue-t-on, avec leur pragmatique complicité, depuis plus de deux siècles, la recherche du bonheur?
La religion n’est pas la bienvenue. Jamais elle ne doit l’être, ne serait-ce que d’un pouce, là où l’homme propose à l’homme des lois. Les auto-proclamés Humanistes sont incapables d’épeler la première lettre de ce mot.
La bien-pensance autoritaire et assurée d’elle-même des instituteurs verts est d’une puérilité inouïe et souvent irrationnelle. Mais il n’est pas étonnant qu’elle fasse recette dans les bacs à sable où l’on nous cantonne. In tempore non suspecto, Roger Caillois nous enjoignait à nous défier de la chlorophylle. Avec cet art du contrepied merveilleux qui le caractérise, il précisait qu’il n’était rien de plus assassin que cette pourvoyeuse abondante en bactéries et en miasmes.
L’instruction et la culture, le discernement, la place centrale que les hautes époques ont consacré à la beauté, sont des nostalgies.
Qui se rend à Venise pour admirer sa mairie? Qui séjourne dans la ville dont l’autre nom est Amour pour visiter le siège central de la Banco di Roma?
Tous les réfractaires ne se valent pas. Gémir est lâcheté. Vociférer est dangereux. Administrer des leçons à distance relève d’une facilité coupable.
Depuis la toute fin du paléolithique supérieur, c’est-à-dire du moment même de sa fondation inconsciente, la politique n’a fait que stagner, à de rares éclipses solaires près dans la nuit des mondes. Certes, il y eut tout de même quelques échappées belles, mais si brèves, et qui furent systématiquement récupérées ou étouffées après quelques saisons.
Tenus en laisse par la Technique autant que par l’Économique, devant une niche affolante de crasse à proportion de son exiguïté, nous demeurons des chiens féroces, préoccupés seulement d’arracher à l’écuelle banale le bout de graisse faisandée susceptible de nous faire durer un jour de plus dans la servilité où nous nous tenons.
Je ne m’imagine nullement au-dessus de la mêlée ; je m’efforce cependant de considérer ce qu’il reste de ce qui fut, de ce qui est envisageable, mélancoliquement soucieux de faire loi aux idées obsolètes qui m’ont arraché à l’enfance et à la cécité totale.
Je ne nous vois sauvés que par un gouvernement que présiderait Épicure dans la lignée de Démocrite. Je ne crois qu’en son Jardin, honni par les Platoniciens autant que par les Chrétiens.
© Armes & bagages, à paraître.
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