Christophe Van Rossom s’entretiendra avec Pierre Bergounioux, à la faveur de la parution de la troisième livraison de son Carnet de notes, portant sur la décennie 2001-2010.
Il y a, dans le projet existentiel et littéraire de Pierre Bergounioux, comme l’empreinte d’un Montaigne qui aurait lu Kant et Marx, Flaubert et Faulkner. Ce professeur de lettres tire en effet son exigence (digne de la juste rigueur des instituteurs qui ont façonné la IIIème République) du souci encyclopédique de tout saisir et de tout expliquer. D’élucider et de comprendre. Afin de mieux dévoiler le réel. Afin que la langue soit au rendez-vous du savoir et de la saveur. Si les livres de Bergounioux, qui sont également la manifestation d’un grain de voix immédiatement identifiable, peuvent quelquefois témoigner d’une forme de désenchantement à l’égard de ce que le monde devient, leur auteur se signale non moins par sa ténacité. Ne jamais abandonner, voilà le visage qu’il convient d’opposer à l’adversité protéiforme. Comme Michon ou Millet, issu d’un terroir corrézien hors temps, hors espace, originel, il a l’humilité et la soif d’apprendre de l’escholier lymosin évoqué par Rabelais. Passionné par la terre et les insectes, les livres et le Temps, les êtres et les champs de la connaissance, Bergounioux, sculpteur à ses heures, est davantage qu’un grand écrivain de notre temps. Dans une société prosternée devant la laideur et la stupidité, il compte au nombre des plus minutieux, des plus scrupuleux orfèvres de la prose française que je sache.
Et ce renaissant, qui l’illustre et la défend si bien en un monde qui va finir, ne se contente pas d’occuper la place du guetteur mélancolique, de celui qui enregistre la perte des valeurs et se contente de déplorer l’ensevelissement de la beauté dans un tout à l’absence de goût. C’est aussi, c’est sûrement, comme en témoignent, par exemple, les milliers de pages de ses Carnets, publiés par les éditions Verdier, l’une des rares consciences susceptibles de nous empêcher de céder aux sirènes du cynisme bien porté ou de la nihiliste complaisance à soi. La merveille est là, toujours, pour qui sait voir et dire. La tâche de l’écrivain est avant tout métier de vivre.
Le lisant, le relisant, me revient à l’esprit la belle formule de Gramsci nous enjoignant à allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté. On ne pourrait, je crois, mieux définir ce qui est en jeu, ce qui est à l’œuvre dans ses textes brefs aussi bien que dans ses romans, dans ses essais tout autant que dans des cahiers de notes qui couvrent désormais plus de trente années de vie au service de la langue et de la beauté.
En 2009, Pierre Bergounioux s’est vu décerner le prix Roger Caillois pour l’ensemble de son oeuvre.
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