Non est seul mot que nous puissions prononcer aujourd’hui ; oui est celui que nous désirons dire demain. Ce que nous proposons : que le théâtre déserte une fois pour toutes sa course perdue derrière le cinéma et la télévision. Qu’il redevienne, corps et actes, une prise de parole agissante. Le comédien peut redevenir le porteur de la parole, celui qui, rire ou larmes, fait flamboyer le sens, la beauté ou l’effroi. Nous en appelons au retour de ce que le théâtre n’aurait jamais dû cesser d’être : cérémonie et sacrifice, liturgie et poésie. Le Malade imaginaire n’est rien d’autre qu’un jeu étrusque. Entre Eschyle et Genet ou Koltès, pas l’épaisseur d’une feuille de papier bible. Pyrame et Thisbé a la fraîcheur d’un champ de roses. Aristophane commente l’actualité. Radovan Ivsic, Michel de Ghelderode, Valère Novarina et Rutebeuf se saluent. Lycophron existe. Claudel ne dort pas. Kalisky frappe à la porte. Jarry rugit plus fort que jamais, mais vous ne l’entendez pas. Gozzi a définitivement giflé Goldoni, mais vous ne jurez plus que par ce dernier. Nous ne voulons plus d’un théâtre d’effets spectaculaires, prostitué au mauvais goût du jour, mais un théâtre d’effets existentiels et métaphysiques, redéfinissant à chaque réplique le tout de notre présence au monde.
L’unique question qu’un comédien doit se poser n’est pas : Où vais-je jouer ? Ou : Combien serais-je payé ? Ou : Que dois-je accepter pour faire carrière ? Mais : Quel est le texte où vous voulez que j’investisse ma voix, ma chair et mon esprit ? C’est une commotion, de l’ordre d’une révélation, qui est en jeu, ne l’oublions jamais. Apocalypse est le mot grec qui définit cette révélation.
Une nouvelle alliance est imaginable entre auteurs et comédiens. Il est urgent désormais d’interrompre les délires sans folie ou les hoquets piteux que nous infligent depuis trop longtemps les autoproclamés metteurs en scène. De leurs fantasmes pauvres, de leur mégalomanie petite, de leurs surinterprétations comme de leurs mésinterprétations, il est temps de nous passer, oui ! Pendant de trop longues décennies, nous aurons supporté leur médiocrité bavarde et stérile. Pendant trop de temps, nous aurons souffert qu’ils tendent un rideau opaque devant la scène réelle où Sophocle, Shakespeare et Racine attendent toujours. Il est temps, oui, de savoir si c’est avec ceux-ci ou avec ceux-là que nous souhaitons converser !
Un autre univers est possible que celui auquel on a accoutumé nos yeux, nos oreilles et notre sexe. La seule question est : le voulons-nous ?
© Christophe Van Rossom
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