Pour Marcel Moreau, Buveur de Déluges
Il n’est pas de révolte statique. Tout rythme est un commencement de révolte. Nous avons perdu non seulement tout sens de la réalité, mais, ce qui est plus grave, nous ne reconnaissons plus sa musique. Je parle de la réalité saignante, désirante, imaginante, jouante, jouissante.
Lorsque les idées deviennent générales, communes, je veux dire communément partagées, c’est-à-dire vulgaires, et qu’elle ne se composent que de clichés bien-pensants qui piaffent d’impatience au désir frauduleux de se calcifier en règles, en règlements, sinon en lois, voire en sacrements, FUIS. Fuis l’homme qui les porte à plus forte raison s’il les colporte.
Ne te laisse jamais cerner ou miner.
Un corps peut être mis à terre. Un corps peut être envoyé au trou. Il peut être torturé et incendié ; l’intelligence, qui est fréquence et intensité, électricité et chimie se conculant dans l’infini du Temps, ne le peut pas.
Je songe à la dignité de Boèce, à la détermination héroïque de Bruno, au silence de Jean Cavaillès ; aux cris puis à la langue tranchée de Jules César Vanini. Je pense à Théophile de Viau ; à la poutre qui tombe – si opportunément – sur le crâne de Cyrano. Et à mon ami Giacomo, que ses livres de sorcellerie condamnent aux Plombs.
Évade-toi. Écarte-toi au plus loin du centre. De la centrifugeuse qui te veut cannibaliser. De la broyeuse de singularités. De la machine à décerveler. Va au plus vif en toi, cours au plus vivant qui te soulève à devenir un mieux-vivant auprès de survivants. Lesquels ne sont tous désormais que des zombies en puissance.
Ne sois d’aucun parti. Avec les guelfes, gibelin ; gibelin avec les guelfes. Oui, Michel de Montaigne ; oh! oui, Jean-Paul Michel!
Tu n’es pas du nombre : tu es de la lettre.
Nul ne nous force à être du nombre, même si plus rien ne nous invite à goûter à la coupe des lettres, au vin merveilleux que nous tendent les lettrés.
Ma politique est toute faite. Marcel Moreau l’a définie et l’incarne. Elle relève de l’être et appelle à être. Elle n’attend rien puisqu’elle va. Elle préfère l’errance qui cherche aux barbecues des certitudes recuites. Et lorsqu’elle parle, si elle parle juste, le bon signe est qu’elle provoque une levée des boucliers et ne convainc que les Rares – lesquels évidemment y voient confirmation de ce qu’intimement, chair et esprit, leur pensée pense dans la fruition.
Jouer le jeu du groupe agglutine, ratatine, et transforme tes mots en tartines qui ratiocinent trivialement.
Tu vaux mieux que ça. Pourvu que tu le veuilles. À supposer que tu ne cherches ni prix, ni gains ni intérêts. Le profit ne profite pas à ton âme. À ce que, athée, tu nommes ainsi.
Demeure cette interrogation : savons-nous encore vouloir? Le voulons-nous? Car depuis Étienne de la Boétie, au moins, nous connaissons clairement notre goût pour la bride et ses sordides motifs.
Relis – ne te relie jamais.
(Copie adressée en annexe aux supposés Indignés qui prétendent tenir la nuit, à leur misérable parole moulinée à vide. Le vent qu’elle brasse n’est ni la Nuit ni le libre vers lequel la Nuit nous suggère d’aller lorsque c’est en esseulé qu’on aime la Nuit.)
(Dehors, c’est l’aube du six juin. À deux pas de la Bastille, j’entends les oiseaux chanter dans le ciel gris trouble. Leur ferveur est sans autre objet que le chant et le vol qui de bleu en nuages ne connaît pas de frein.)
De Paris, en l’An de Disgrâce Deux Mille seize.
© Armes & bagages, à paraître.
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