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Posts Tagged ‘Rilke’

 – A Kénalon II, de Jacques Crickillon, Le Taillis Pré, Châtelineau, 2005.

            Au-delà de ma mort, qui va venir, qui doit être, absolument, une mort du retour en force, au-delà et de dedans, le glacial parcours du serpent, je vous chanterai des noms de vous glanés sur le chemin de mort, nominations de votre miracle, cailloux blancs de Petit-Couteau, j’irai sur des falaises accrocher mes belles images et ce sera : Lorna : enfance et fin de monde.

            Dans ces mots que l’on devine fiévreux, les deux grands pôles qui aimantent la sphère-monde de Kénalon : le face-à-face avec la mort – non seulement celle, physique, qui vient, mais aussi celle, spirituelle, qui gangrène notre temps – et le chant d’amour, continué, renouvelé à celle seule qui donne sens à la vie, à la pensée et à l’œuvre du poète. Car Kénalon, dont Jacques Crickillon nous invite ici à poursuivre la découverte, entre fascination et péril, s’avère une conjonction proprement ambivalente de forces, de tropismes, de tensions, de désirs, laquelle se dessine, un peu plus que dans À Kénalon I, comme le cœur même, secret, d’une démarche poétique initiée depuis près de quarante années maintenant. Entre songe et réalité, spéculation et dénonciation, le poème esquisse sous nos yeux un espace et un temps autres. Ici, en exoderie, les saisons n’ont plus lieu ni cours. On couve sa fièvre. On recueille le fruit. On a froid de bonheur comme l’oiseau de neige de nuit. L’essentiel est difficile autant que bien fragile. Il ne peut être confondu avec nos activités de diurnes. Il ne peut même être associé à la littérature, qui selon le poète ne se contente de flatter que les terrasses ventripotentes du bas. (suite…)

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Nous sommes passé d’un ordre supposé inférieur, l’animalité, à la conscience de notre horizon humain. L’espèce Homo a introduit la mort dans l’ordre de nos priorités. Cette dernière a structuré notre pensée, a défini nos craintes et nos espoirs, à de certains moments elle est devenue un but, cependant que le grand dehors (Hölderlin, Rilke, Crickillon) n’a jamais cessé d’obéir à ses lois propres, autrement vastes. Entre les deux, il est advenu que nous ayons progressé, grâce aux Rares. Grâce aux Poètes.

Le monde ne change pas. Il n’y a nulle course, nulle rivalité imaginable. Partout, le chaos, l’absence de sens, la vulgarité, la violence, le crime s’insinuent, prolifèrent et prospèrent.

Les temples ont été détruits – l’ont-ils été vraiment ? -, mais nos questions demeurent. Nous foulons aux pieds quotidiennement les expériences puissantes, l’intelligence, la culture vraie, la beauté. Il n’est plus aucun sanctuaire où considérer notre relation au grand dehors, où nous interroger sur nous-mêmes dans un silence composé, où poser les bases d’une existence digne. (suite…)

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Sur la poésie, aujourd’hui

Trialogue

 

Dans une lettre adressée à sa femme en 1779, Sade écrit : « Que veux-tu que l’on fasse sans livres ? Il faut être entouré de livres pour travailler, sinon on ne peut faire que des contes de fées, et je n’ai pas cet esprit-là. » Le poète non plus sans doute n’a guère cet esprit-là, pas davantage qu’il n’écrit la tête errant entre les nuages. Pas un poète, digne de ce nom, qui ne soit un remarquable lecteur. Quel rôle joue la Bibliothèque dans votre travail quotidien, dans l’élaboration de vos poèmes ?

 

Jean-Paul Michel – Rien comme un livre n’appelle un livre en réponse. La Bibliothèque, c’est « le corps certain », la jauge. Elle atteste la sédimentation, irrécusable, de tant d’« impossible », pourtant là, précisément actualisé. La Bibliothèque fait obligation à l’auteur de tenir devant l’éclat des Phares. Elle est l’incitamentum d’un grand nombre de mouvements d’écriture, appelés avec nécessité comme autant de « réponses » qu’il nous est expressément enjoint d’apporter à notre tour, notre moment, sur la longueur d’onde unique de retentissement de l’expérience qui peut vibrer dans une voix. N’était la Bibliothèque, la « niaiserie affairée », qui est, dit Kant, « le caractère de notre espèce », l’emporterait sans rencontrer bien grande résistance. (suite…)

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A Kénalon I, de Jacques Crickillon, Le Taillis Pré, Châtelineau, 2004.

 

Le premier mot coûte. Une vie. / Les suivants consument. Le dernier efface, écrit Crickillon dès les premières lignes d’un nouveau livre qui s’avère lui-même le portail d’un nouveau cycle poétique. C’est dire ce que fut, depuis la parution de La Défendue en 1968, l’enjeu de toute son existence : écrire et vivre poétiquement, car les deux sont indissociables pour un poète qui a tant soit peu conscience, comme Rilke, de sa tâche. Et c’est dire aussi l’ampleur des dangers à quoi l’on s’expose, car il est devenu désormais impossible d’écrire avec son temps. Comme il l’a superbement formulé autrefois, le poète n’appartient plus. Il lui faut donc œuvrer contre, et en marge. A Kénalon I est donc rien moins que poésie de divertissement, visant aux effets et à la joliesse ; c’est un livre de combattant, le carnet de bord d’un créateur armé, flirtant sans cesse, entre beauté et risque extrême, avec la folie ou la mort. Pour les conjurer, il s’en remet bien sûr à Lorna, sa compagne de barbarie, ses lecteurs fidèles ne s’en étonneront pas. Mais il a le front aussi de parier (comme Mallarmé le fit lançant les dés au rebord du néant) sur la puissance d’un seul mot, d’un nom, pour structurer son projet et, mieux, le faire naître de ce vocable pancréator. (suite…)

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Né en 1940, Jacques Crickillon est à ce jour l’auteur d’une trentaine de livres. Poète avant tout, il est aussi critique – les familiers de Lectures savent la qualité des œuvres qu’il recommande et la pertinence de ses commentaires – et professeur d’histoire des littératures au Conservatoire royal de Bruxelles.

Considérée dans son ensemble, son œuvre poétique et narrative prend à chaque livre nouveau un peu plus des allures d’océan. Et force est de reconnaître que voilà en effet un travail littéraire – l’un des plus importants des lettres belges de langue française de ce temps – qui possède bien des attributs océaniques : force et violence, splendeur sans fin des ressources et puissance de déferlement, profondeur aux dangers quelquefois abyssaux, soudaineté des changements de climat, faune et flore d’une incomparable richesse… Mais solitude immense aussi, que ne rachètent que quelques îles secrètes, où le poète, explorateur dans l’âme de toutes les dimensions possibles de la création artistique, ne manque pas une occasion d’aborder. Car l’un des plus grands attraits de cette poésie et de cette prose, depuis plus de trente ans maintenant, réside peut-être bien dans sa faculté suprême à nous mettre face à face avec un sentiment étrange qui tient de la révélation enthousiaste autant que du silence que commande l’entrevision d’une convulsive beauté. (suite…)

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